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Les neurosciences : être attentif…ça s’apprend

Publié le 25 septembre 2020

par Violaine Carry
« Concentrez-vous… Soyez attentifs… Attention ! c’est important… » : autant de rappels à l’ordre, autant de sollicitations que nous répétons à longueur de séance sans plus y faire… attention. Or, certains élèves sont devenus experts dans l’art de paraître attentifs tout en rêvassant, tandis que d’autres semblent distraits, occupés à crayonner par exemple, alors qu’ils ne perdent pas une miette du cours. Bref : l’attention est une posture mentale que l’enseignant doit capter et garder en éliminant les distracteurs. Il s’agit surtout d’apprendre aux élèves à moduler leur attention, à la focaliser sur la bonne cible, avec les bons filtres.

Pourquoi faut-il être attentif ?

  • C’est d’abord parce qu’on se focalise consciemment sur certains éléments que le cerveau les encode et les mémorise ; la consolidation en mémoire à long terme, elle, est déterminée par la répétition de ce coup de projecteur sur l’information, suivant des angles divers.
  • L’attention sert à récupérer l’information pertinente, celle dont on a besoin en fonction du contexte, sous peine d’être hors sujet.

Cibler la cible…
L’attention est gouvernée par l’intention sur le moment, autrement dit « la cible ». Les élèves ne « cherchent » pas les mêmes informations selon qu’on leur demande de se relire pour corriger leurs erreurs de syntaxe ou d’analyser les figures d’insistance dans un texte. Expliciter l’objectif permet une attention de meilleure qualité. Celui-ci peut être à court terme, ou bien nécessiter plusieurs étapes intermédiaires : c’est le cas d’une problématique lors d’une étude de texte. Elle donne une cible, une orientation, mais pour l’atteindre, l’élève doit diviser l’objectif en sous-objectifs, plus concrets et plus élémentaires. À défaut, le risque est que l’élève ne s’engage pas dans la tâche, parce qu’il ne saura pas comment s’y prendre.

Filtrer les informations, une affaire d’experts
Une fois la cible déterminée, le cerveau va appliquer un filtre aux entrées sensorielles, de sorte que les données pertinentes ressortent, soient plus saillantes, et au contraire que les données inutiles soient inhibées. On parle alors de « carte de saillances ». Seulement, si on naît avec une panoplie de filtres de base (qui nous permettent de survivre !), la grande majorité des filtres utiles en classe sont de l’ordre de l’acquis. Ainsi, on apprend à chercher les marques de la première personne, l’expression des sentiments, etc. quand on nous demande de montrer que tel poème est lyrique. Et plus on a de l’expérience en la matière, plus le filtre est subtil et plus la carte de saillance est facile à « lire ».

Affiner progressivement
Forger un filtre attentionnel prend du temps : il ne suffit pas de connaître les caractéristiques d’un genre, d’un courant ou d’un mouvement littéraire. Il s’agit de les reconnaître. En cela, le choix de textes représentatifs, voire caricaturaux, pour aborder la notion est préférable. C’est à ce moment-là qu’il ne faut pas hésiter à mettre systématiquement les caractéristiques en valeur, même si ça nous paraît grossier. Petit à petit, on pourra présenter des textes dont les effets sont plus subtils, tout en soulignant, à chaque fois, les éléments pertinents : cela permettra d’affiner le filtre. Plus le nombre de textes traités de cette manière sera important, plus la notion (genre, courant, etc.) sera claire et plus le filtre sera précis et efficace. Et plus le filtre sera subtil, meilleurs seront les commentaires et les dissertations…

La concurrence des distracteurs
En réalité, on est presque toujours attentif à quelque chose. Aussi, quand un enseignant dit à un élève qu’il n’est pas attentif, c’est que ce dernier ne focalise pas ses ressources attentionnelles sur la « bonne » cible, celle désignée par le professeur. Ces cibles « parasites » appelées distracteurs se partagent entre distracteurs externes (règle qui tombe, neige à travers la fenêtre, etc.) et distracteurs internes (faim, soif, froid, fatigue etc.). Certains distracteurs captent l’attention de façon très passagère – quand on cherche à identifier la source d’un bruit inattendu par exemple – d’autres en revanche « capturent » l’attention, car le cerveau considère que revenir à la tâche initiale est trop coûteux en énergie pour le bénéfice évalué.

Se concentrer sur une cible
On ne peut évidemment pas éliminer tous les distracteurs. Toutefois, on peut en limiter un certain nombre. Même si cela peut paraître un peu triste, l’attention sera moins distraite si les affichages sont peu nombreux dans les salles de classe. On peut également éviter de parasiter ses propres consignes orales en retardant la distribution de photocopies par exemple. On peut sensibiliser les élèves aux mécanismes attentionnels et leur faire prendre conscience que certains tics ou comportements (faire cliquer son stylo, se balancer sur sa chaise, bavarder, etc.) sont autant de distracteurs à inhiber pour ceux qui souhaitent suivre. On peut également leur montrer qu’ils ne sont pas tous gênés par les mêmes choses, ce qui permet, au passage, de travailler l’empathie. Ainsi, quand on les reprend ensuite en classe, on pourra leur demander, non pas d’arrêter de parler, mais plutôt d’arrêter de créer des distracteurs pour les autres. Les distracteurs internes sont plus délicats à maîtriser, car ils sont souvent invisibles et ne dépendent généralement pas de nous. En revanche, rappeler aux élèves (et à leurs parents lors des rendez-vous) que les besoins physiques, s’ils sont mal régulés (manque de sommeil, alimentation insuffisante, habits non adaptés aux températures, etc.), gênent l’attention et plus largement les apprentissages, est toujours possibles. Par ailleurs, si on repère chez un élève une expression soucieuse, ou une émotion qui risque d’être facteur de dispersion, on peut essayer de désamorcer cela en le prenant à part pour lui permettre d’évacuer pendant qu’on a lancé une activité.

Une fonction énergivore
Quand on sollicite l’attention de quelqu’un, on précise rarement le degré de mobilisation que l’on attend de lui. Or, certaines activités réclament une attention plus soutenues que d’autres. Par exemple, quand un élève écrit sous la dictée du professeur, sa concentration est moindre que quand il cherche à comprendre une nouvelle notion. De surcroît, l’effort d’attention pour la même tâche ne sera pas le même selon les personnes : il dépendra par exemple de l’enjeu que l’élève attribuera à ladite tâche (évaluée ou non ? notée ou non ? importante ou non ? intéressante ou non ?), mais aussi de son assurance dans le domaine. Ainsi, un élève à l’aise en syntaxe aura besoin de moins d’énergie pour rester concentré pendant l’exercice qu’un élève qui maîtrise mal la terminologie grammaticale. Bref, l’expertise et/ou la confiance en soi rend l’attention plus facile. De même, l’enjeu de la tâche peut être facteur de stress (le coût en énergie sera alors plus élevé) ou au contraire de motivation (faible coût). La durée de la tâche est aussi un facteur à prendre en compte pour évaluer l’effort à fournir et réguler son attention au mieux. Notons qu’en moyenne, un adulte ne peut soutenir un effort d’attention important que pendant 20 minutes d’affilée. Les adolescents sont plus proches de 15 minutes, et notre société, qui incite au zapping, tend à réduire encore cette fenêtre. Par ailleurs, il est bon de garder à l’esprit que notre courbe de vigilance décroît au fil de la journée, et subit un creux conséquent entre 11h et 15h (besoin de se nourrir, puis effort de digestion).

Conjuguer les efforts de l’élève et du professeur
Il est difficile d’adapter son cours aux capacités de chacun. En revanche, on peut aider les élèves à mieux gérer leurs ressources attentionnelles. Cela passe d’abord par un travail sur la posture réflexive : si les élèves prennent conscience de leurs points forts de leurs axes d’amélioration. On explique à l’élève qui se sait plus à l’aise en mathématique que l’effort qu’il devra fournir pour rester attentif dans cette discipline sera moins important que dans les celles où il rencontre plus de difficultés. En ayant pris conscience de ce fait, il sera plus à même de moduler son attention, d’évaluer l’effort en fonction du type d’exercices ou de thématique. Pour gérer ses ressources, il faut savoir où on a besoin de les mettre. Pour les plus jeunes enfants on utilise l’image la poutre : sa hauteur représente le niveau de l’enjeu, la largeur, la difficulté de l’exercice, et la longueur le temps qu’il faudra tenir. Autre levier : la confiance en soi. Là encore, c’est l’élève qui a les cartes en main pour se réguler. Du côté enseignant, on veillera à encourager, à rassurer, à démontrer dans sa posture que l’erreur peut être constructive. On a davantage de marge de manœuvre sur le rythme de notre séance : en variant les supports et les activités régulièrement, en construisant notre séance en étapes qui n’excèdent pas 15 minutes (sauf exceptionnellement), on évite que l’énergie ne se disperse trop.

Captatio benevolentiae : un effort constant
Comme évoqué précédemment, la motivation, c’est-à-dire l’intérêt pour la tâche, l’envie de la réaliser, rend l’effort d’attention moins coûteux. Il s’agit donc pour le professeur de capter la bonne volonté des élèves pour l’orienter vers la cible voulue. Or, l’attention aime la nouveauté, alors que la consolidation des notions et l’acquisition de certaines procédures (réaliser un commentaire, une dissertation, etc.) exige une certaine répétition. Autre problème, la note (et l’évaluation en général) peut être à la fois facteur d’engagement (notamment chez les élèves qui pensent réussir) que de désinvestissement (chez ceux qui ont une piètre estime de leurs capacités ou qui sont « habitués » à l’échec).

Surprendre

On peut évidemment varier les modes d’approche de la même notion : c’est un classique. On évite ainsi la routine, et on consolide la notion. Une autre technique, complémentaire, est de jouer la comédie : en simulant une incompréhension, une confusion, une incapacité à résoudre un problème et en sollicitant alors l’aide des élèves. Cela fonctionne très bien en début de séquence. Par exemple, après avoir fait émerger les représentations des élèves sur le romantisme, on peut froncer les sourcils et annoncer que du coup on a un problème, car dans tel texte pourtant reconnu comme représentatif du « romantisme », c’est différent ; et on lance l’activité d’analyse.

Motiver
La mise en projet peut également être un facteur de motivation et faire accepter aux élèves une grosse dépense en termes de ressources attentionnelles car la tâche en vaut la peine. L’exemple type est celui de la mise en scène de théâtre, qui impose une analyse précise du texte. Notons que ce type d’activités est à privilégier quand les élèves ont déjà encodé, compris les notions en jeu. Le travail coopératif en général, où chaque élève est responsable d’une partie de la production finale, est souvent un bon levier pour générer de la motivation. On commence à le voir, il est difficile de parler de l’attention sans évoquer aussi la mémoire. C’est que les fonctions exécutives mobilisées en classe sont intimement imbriquées.

L’expérience dite du « Gorille invisible »
Cette expérience imaginée par Daniel Simons permet de mesurer l’influence d’un élément distractif. Deux équipes jouent au ballon. Pendant que le spectateur est invité à compter le nombre de passes que font les joueurs d’une des deux équipes, un gorille traverse la scène. Nombreux sont ceux qui ne le remarquent pas.
https://www.youtube.com/user/profsimons

BIBLIOGRAPHIE

  • Jean-Philippe Lachaux, Les Petites Bulles de l’attention. Se concentrer dans un monde de distractions, éd. Odile Jacob, collection Science illustrée, Paris, 2016.
  • Jean-Philippe Lachaux, Le Cerveau attentif. Contrôle, maîtrise et lâcher-prise, éd. Odile Jacob, collection Sciences poches, Paris, 2013.
  • Site du projet ATOLE (« ATtentifs à l’écOLE ») : https://project.crnl.fr/atole/
  • Cerveau & Psycho, « Au travail, à l’école… Apprendre à se concentrer », n°75 de mars 2016

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