Actualités Pédagogiques

Les neurosciences : des mémoires pour mieux apprendre

Publié le 14 septembre 2020

par Violaine Carry
Depuis que Stanislas Dehaene a été nommé à la tête du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, on entend parler de neurosciences éducatives à tous les coins de rues. Mais que sont-elles exactement ? Que peuvent-elles apporter aux enseignants de lycée et à leurs élèves ? C’est ce champ que nous allons explorer dans cet article et ceux qui suivront cette année. Dans un premier temps, nous ferons le point sur ce que les neurosciences nous apprennent du fonctionnement de la mémoire et sur les conséquences qu’on pourra en tirer.

La mémoire, comment ça marche ?
Étape 1 : L’encodage correspond à l’acquisition d’une nouvelle information.
Étape 2 : La consolidation est la phase de mémorisation proprement dite. L’information est alors stockée dans la mémoire à long terme.
Étape 3 : La récupération est la phase de restitution des informations stockées.

La mémoire de travail, essentielle au raisonnement
De quoi s’agit-il précisément ?
On entend souvent parler de mémoire « à court » ou « à long » terme. La première est appelée « mémoire de travail » par les cognitivistes. Elle a une capacité limitée (7 items en simultané, plus ou moins 2) et son temps de rétention est faible (jusqu’à 2 minutes). Néanmoins, elle est essentielle. C’est en effet la mémoire de travail qui nous permet de lire sans oublier la phrase précédente. Sans elle, le texte perdrait toute sa cohérence, nous ne lirions que des phrases sans lien les unes avec les autres. C’est également grâce à elle que nous pouvons faire un commentaire à l’oral ou écrire une dissertation, tout en gardant notre plan et notre problématique en tête. Bref, c’est elle qui nous permet de manipuler les informations, et donc de travailler. Elle est d’autant plus efficace qu’elle prend appui sur les mémoires à long terme, et notamment la mémoire sémantique et la mémoire épisodique. Ainsi, si j’ai déjà stocké en mémoire sémantique la définition du romantisme, je n’ai pas à retenir en mémoire de travail tous les items qui composent le romantisme, mais simplement le mot, donc un seul item : je n’aurai qu’à y revenir en détail quand j’en aurai besoin.

Qu’en faire en classe ?
La mémoire de travail et sa qualité dépendent en grande partie de la gestion que l’on a de l’attention, et des informations stockées en mémoires à long terme. Or, nos élèves ne sont pas tous égaux dans ces domaines. En classe, il sera donc judicieux de s’assurer des pré-acquis des élèves avant de définir une nouvelle notion, par exemple, et de veiller à ne pas proposer à l’oral de liste dépassant 5 items (étapes de procédures méthodologiques, auteurs, etc.).

Les mémoires à long terme
Pour retenir des informations à long terme, nous utilisons différents types de mémoires : deux sont dites « déclaratives ». Il s’agit de la mémoire épisodique, qui correspond à la mémoire des événements dans leur contexte, et la mémoire sémantique, qui est la mémoire des mots (avec leur sens) et des concepts généraux sur le monde. Toutes deux s’appuient sur la mémoire perceptive, qui est dite « non déclarative », et qui stocke nos sensations (le goût d’une fraise, l’odeur du lilas, la voix d’une personne, etc.). Si la mémoire sémantique se met en place dès les premiers mois, il faut 4 à 5 ans pour que la mémoire épisodique devienne mature. De fait, les souvenirs retenus en mémoire épisodique le sont grâce à un phénomène de binding (association) opéré par la mémoire sémantique : elle donne au souvenir son sens, sa cohérence, et permet son stockage. Quand des épisodes similaires se répètent (par exemple, la fête de Noël), le cerveau opère une synthèse et abstrait les traits sémantiques spécifiques à tel ou tel concept. C’est le phénomène de sémantisation, c’est-à-dire que le contexte d’acquisition s’estompe : on peut alors parler de la fête de Noël de manière générale, sans évoquer en mémoire un Noël particulier ni se souvenir de notre premier Noël. C’est ainsi que je sais ce qu’est le romantisme sans me souvenir comment j’ai acquis cette connaissance.

La sémantisation, meilleure amie de l’enseignant
Pour permettre les exercices du commentaire ou de la dissertation, il est crucial que les notions d’analyse (figures de style, focalisations, types de discours, etc.) ou d’histoire littéraire (connaissances sur les mouvements, courants, genres, etc.) soient ancrées en mémoire sémantique pour en faciliter l’accès et la manipulation sans surcharger la mémoire de travail. Si les premières ont théoriquement été acquises au collège, la réalité révèle souvent de grosses défaillances, de sorte qu’il faut régulièrement revoir le processus de mémorisation de ces outils et s’assurer de leur consolidation. Pour cela, il faut privilégier un contact multi-épisodique avec la notion à apprendre, c’est-à-dire réactiver la notion plusieurs fois, et surtout dans des contextes variés, avec des modes de présentation différents. Notons à cet égard que quand un élève répète la question d’un de ses camarades, c’est moins parce qu’il n’a pas entendu que pour s’approprier la connaissance : cela prend du temps, mais favorise la mémorisation. Ainsi, par exemple, une fois que le cours sur les valeurs des temps a été dispensé, on pourra demander aux élèves de se l’approprier en le convertissant sous forme de carte mentale pour le cours suivant, puis on leur proposera de les mettre en scène, et systématiquement, face à un texte, on leur posera une ou deux questions sur l’emploi des temps. Dans le cas particulier où la terminologie grammaticale entre en concurrence avec le langage courant – valeur, vérité, etc. –, on veillera à faire émerger en début de leçon des représentations sémantiques des élèves sur ces termes pour éviter tout phénomène d’interférence et donc de confusion. De même, l’apprentissage par cœur de fragments de textes ou de citations aide à la structuration de la mémoire sémantique.

Exploiter la mémoire épisodique
À première vue, on pourrait se dire que seule la mémoire sémantique intéresse l’enseignant. Or, pour qu’une nouvelle notion soit fixée en mémoire sémantique, il faut multiplier les occurrences et varier les contextes d’activation, ce qui coûte beaucoup en temps et en énergie. Pour favoriser et accélérer le processus, il peut être pertinent de recourir à la mémoire épisodique des élèves. En effet, cette dernière est extrêmement sensible aux émotions et concerne directement l’identité de l’élève. Connecter une nouvelle information avec le vécu des élèves est un moyen, non seulement de susciter leur intérêt et donc de générer un engagement plus actif de leur part, mais aussi d’optimiser la rétention de la nouvelle information car elle sera associée à un souvenir déjà ancré en mémoire à long terme. On peut imaginer, face à un texte, de demander aux élèves s’ils comprennent le comportement des personnages, s’ils ont déjà vécu telle ou telle situation ou s’ils auraient réagi de la même manière. En effet, pour se projeter, même s’ils n’ont pas vécu d’événement similaire, les élèves utiliseront leurs souvenirs pour fabriquer une situation fictive qui leur permettra de répondre. Par ailleurs, si les élèves se représentent bien la situation, ils éprouveront également des émotions, ce qui leur permettra de mieux retenir l’expérience, et donc le texte. D’ailleurs, les chercheurs ont découvert que lorsque l’on lit un livre, qui plus est à la première personne, le cerveau s’active comme s’il vivait vraiment les événements : ainsi la lecture multiplie, d’une certaine manière, les expériences de vie. Une autre manière d’utiliser la mémoire épisodique en classe est tout simplement, en début de cours, de demander aux élèves de se rappeler le cours précédent.
On peut même leur donner quelques indices. Cela a l’avantage de mettre en exergue la progression de la séquence et de susciter facilement une récupération. Pour faire émerger les émotions et assurer un ancrage en mémoire épisodique solide, une autre solution est de solliciter un engagement plus marqué de l’élève, soit en lui proposant de mettre en voix ou en espace un texte, soit en faisant appel à la pédagogie de projet, car celle-ci à l’avantage de réclamer une démarche personnalisée de l’élève. C’est d’ailleurs sans doute pour cela qu’elle est mise à l’honneur par l’épreuve du grand oral !

Automatiser pour gagner du temps et de l’énergie
L’autre mémoire « non déclarative » est la mémoire procédurale. Comme son nom l’indique, elle garde trace de toutes les procédures automatisées, qu’elles soient motrices (marcher, par exemple) ou cognitives (lire, par exemple). Elle a l’avantage d’être très peu coûteuse en énergie et d’être très rapide. C’est notamment grâce à elle que nous pouvons parler de manière fluide, sans penser à chaque accord, ou à chaque mot : notre mémoire procédurale a en effet enregistré des séquences de mots entières, qu’il ne nous reste plus qu’à dérouler. Au lycée, cette mémoire peut notamment être développée pour les travaux de rédaction et d’exposé. Travailler le par cœur est un bon moyen de développer la mémoire procédurale des élèves et peut s’avérer intéressant à condition de s’assurer au préalable que le texte à réciter est compris. Outre l’acquisition d’une banque de séquences de mots qui pourront être réinvesties telles quelles (lors d’un exposé par exemple), le par cœur permet aussi l’assimilation de structures syntaxiques correctes et l’enrichissement du lexique de l’élève (en mémoire sémantique). Une lecture régulière pourra avoir un effet similaire.
On pourra mettre en évidence ces formulations qui reviennent régulièrement, et qui constituent de véritables « béquilles », tant pour l’oral que pour l’écrit. On les déclinera aussi souvent que possible, la répétition étant la seule clé pour parvenir à introduire un automatisme. Pour l’oral, un travail régulier sur la gestuelle permettra finalement à l’élève de gagner en congruence dans son discours. Notons que chaque élève n’est pas obligé de passer à l’oral : la vue d’un autre active les mêmes zones du cerveau que si on faisait le geste soi-même ! Cet article n’est évidemment qu’une initiation aux neurosciences éducatives. Le fonctionnement de la mémoire et les facteurs qui influent plus ou moins directement sur le processus de mémorisation est à la fois subtil et complexe. Ainsi, il faudra également parler de l’attention, de l’inhibition ou encore des émotions.

Pour aller plus loin, lire l’article Sciences cognitives et pédagogie, une association fertile par Pascal Champain.

Consultez d’autres articles sur les neurosciences