Publié le 11 juillet 2023
Par Marie-Françoise Roger
Proposer un atelier sur son propre rapport à la langue, langue maternelle, langue de l’autre, peut aider les élèves (4e-3e) à se situer eux-mêmes. Deux écrivains, Leïla Sebbar et Aharon Appelfeld, apportent des pistes éclairantes pour mener à bien cette quête langagière.
Le bruissement de la langue
Aharon Appelfeld est né en 1932 près de Czernowitz – il a vécu dans la même rue que le poète Paul Celan. L’allemand est sa langue maternelle. Dans Histoire d’une vie, il narre comment il lui semble que son premier souvenir est né au mot Erdbeeren : « fraises ». Mais son enfance est baignée de plusieurs langues. Ses parents, des juifs athées et aisés, parlent l’allemand entre eux et avec lui, ses grands-parents, des juifs religieux, parlaient le yiddish, et les domestiques parlent ukrainien. Pendant la guerre, à dix ans à peine, il s’enfuit du camp où lui et son père ont été déportés (sa mère a été abattue pendant les pogroms de 1941) ; il survit soit seul, soit avec divers déclassés ukrainiens. À la fin de la guerre, il émigre en Palestine depuis l’Italie. Il évoque, dans le chapitre 18 d’Histoire d’une vie, son mutisme, son bégaiement, son sentiment d’être perdu : « Sans langue je suis semblable à une pierre ». À l’adolescence, en plus de l’hébreu qu’il ne sait pas, il a réapprend à lire et à écrire.
« Pour moi, écrire, c’est chercher un foyer. Je suis arrivé dans ce pays – Israël – quand j’étais adolescent, je n’avais pas de parents, pas de langage. L’écriture est ainsi devenue une sorte de quête de moi-même. » Appelfeld se défie des « mots soigneusement choisis et des slogans ». Il écrit : « Je haïssais depuis mon enfance les mots précieux et prétentieux, auxquels je préférais les mots petits et tranquilles qui évoquaient des odeurs et des sons ».
La langue des origines
Leïla Sebbar, romancière et nouvelliste, est née le 19 novembre 1941 à Aflou (Hauts-plateaux dans le département d’Oran), en Algérie coloniale, d’un père algérien et d’une mère française, tous deux instituteurs. Elle vit en France à partir de l’âge de dix-huit ans. Leïla Sebbar a expliqué, notamment dans Je ne parle pas la langue de mon père (2003) et L’arabe comme un chant secret (2007), que le fait de ne pas apprendre la langue arabe pendant l’enfance et l’exil dès son jeune âge adulte en raison de la guerre d’Indépendance ont créé chez elle un gouffre identitaire difficilement cicatrisable. « Je me suis perdue à moi […] Qui pouvait me reconnaître ? Mon père. Ma mère. Où je risquais d’être reconnue ? » dit-elle en s’interrogeant sur son identité. Ses interrogations renvoient systématiquement à son enfance : « Je sais que mon père était arabe, moi aussi ? » Dans L’arabe comme un chant secret, elle évoque ses rencontres, enfant, avec la famille de son père : « Tout me sépare de la mère et des sœurs de mon père. La langue, les gestes, les manières, les habitudes domestiques. » Elle se souvient des « rires de cette après-midi d’été dans une cour fermée, protégée par l’odeur du figuier mêlée au miel des gâteaux que nous allons emporter pour le voyage dans la Peugeot 202 noire. » Là encore, la langue de l’enfance est celle des couleurs, des odeurs, des saveurs…
Pour ces deux écrivains, la langue maternelle est celle des sensations que transmet la mémoire. Ils ne se reconnaissent pas dans la langue apprise.
Proposition pour un atelier
Chaque élève s’interrogera sur son rapport à la langue. D’où lui vient-elle ? A-t-il ou elle déjà entendu d’autres langues ? Chacun a peut-être fait l’expérience d’instants où l’on peut se sentir dépossédé de sa langue. Perdu parce que l’on est en pays étranger, ou au milieu d’autres qui parlent une langue différente soit parce qu’elle est étrangère soit parce que ce n’est pas la langue à laquelle on est habitué. C’est une langue recherchée, trop savante, mêlée d’expressions locales, de mots rares que l’on ignore, inhabituelle par ses intonations, ses accents, ses particularités. Chacun se souvient de l’apprentissage de sa langue ou d’une langue étrangère, ses difficultés, ses plaisirs, essaie de mettre en mots les difficultés qu’il a pu ressentir, le sentiment d’être seul, incapable d’échanger avec l’autre qui ne parle pas la même langue, ou au contraire le plaisir que l’on a pu éprouver à découvrir la parole et l’écriture, ainsi que les échanges que permet l’apprentissage d’une langue. On fera le récit d’une de ces expériences.