Actualités Pédagogiques

Enseigner sereinement, une utopie ?

Publié le 23 juin 2022

« Pour tenir dans ce métier, il faut savoir se préserver », ce sont les mots d’une inspectrice d’allemand, croisée à l’occasion de la visite de titularisation d’un collègue. Pas toujours facile. On peut se demander si le stress n’est pas inhérent au métier. La crise sanitaire n’a rien arrangé, et il est difficile d’ignorer que les professeurs contraints de s’arrêter pour burn-out sont de plus en plus nombreux, et que le concours, même réformé, peine chaque année à attirer de nouveaux aspirants. Et pourtant, ne nous y trompons pas, enseigner reste un métier de passion.

Émotions contagieuses et neurones miroirs

Avant le Covid, il y avait déjà pléthore facteurs de stress – on les connaît, inutile d’en faire la liste. Là, la situation sanitaire nous confronte à un défi supplémentaire : accueillir et désamorcer l’anxiété de nos élèves, mais aussi de leurs familles ; absorber et mettre à distance celle de notre hiérarchie, elle aussi soumise à rude épreuve par des injonctions changeantes et contradictoires. Car les émotions sont contagieuses, et cela, si nous en avions l’intuition depuis longtemps, nous a été confirmé par la découverte des neurones miroirs par des chercheurs italiens. En 1992, Di Pellegrino et son équipe se rendent compte que les mêmes neurones s’activent quand un singe se saisit d’un objet que quand il voit l’expérimentateur prendre cet objet… Révolution ! L’expérience est répliquée, déclinée, éprouvée avec des sujets humains, pour aboutir à la conclusion suivante : notre cerveau entre en résonnance, comme une photocopieuse, avec celui de la danseuse qui fait un entrechat, de l’enfant qui tombe de la balançoire, de l’audacieux qui mord dans un piment de Cayenne. Mieux, il s’accorde avec l’être qui exprime de la souffrance… ou de la joie ! N’avez-vous jamais remarqué combien le simple sourire de votre boulangère le matin est communicatif, et vous remet en train alors que vous vous étiez levé du pied gauche ? Bref, la science venait de lever le secret de l’empathie, et du pouvoir – à double tranchant – de la contagion émotionnelle.

Confiance et sérénité en classe

On comprend mieux, dès lors, les résultats du rapport Hattie, qui, depuis 2009, enrichit une gigantesque méta-analyse sur les facteurs de réussite scolaire chez des apprenants du monde entier : les facteurs les plus puissants mettent en jeu la qualité de la relation professeur-élève. En clair, la confiance de l’élève en la compétence de son enseignant, en la justesse de ses retours et appréciations, en sa conviction du potentiel de sa classe, est déterminante. En bonnes éponges, les élèves finissent irrémédiablement par se laisser entraîner par la passion et l’enthousiasme d’un professeur qui y croit : un élève motivé, « heureux d’être à l’école », pour reprendre le titre du dernier ouvrage de la pédopsychiatre Catherine Gueguen, réclame un professeur épanoui. Dès lors, renforcer ses ressources intérieures devient une urgence, non seulement pour se protéger soi, en tant que personne, mais aussi pour nos élèves, afin de surmonter les obstacles conjoncturels, institutionnels et sociétaux auxquels notre métier est confronté.

Du bien-être des élèves à celui du professeur

Le Conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN), confié à la direction de Stanislas Dehaene, éminent cognitiviste, témoigne d’un désir d’augmenter les performances des petits Français en s’appuyant sur la science. Or, quand on se penche de plus près sur les différents groupes de travail, on constate que si la confiance en soi est intégrée depuis le début, il a fallu attendre cette année pour que le « bienêtre à l’école » fasse son apparition. Victoire ! l’impact primordial des émotions est enfin considéré… mais seulement du côté des élèves. Celles du professeur sont toujours taboues, ignorées, comme s’il devait les laisser au seuil de la salle de classe pour bien enseigner. Quel animal curieux que l’enseignant… Alors qu’Antonio Damasio a démontré depuis 1994 « l’erreur de Descartes », celle qui consiste à séparer l’esprit du corps, on attribue tout de même aux professeurs la faculté (presque inhumaine !) de mettre sur « off » leurs émotions. Aussi est-il grand temps de faire un pas de côté pour traiter la source du problème : cultiver l’enthousiasme des professeurs tout au long de leur carrière, les aider à réguler le stress inhérent au métier, leur apprendre à apprivoiser et exploiter leurs propres émotions pour optimiser leur pratique.

Épisode 1. L’art de ne pas se laisser déborder