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Enseigner sereinement, épisode 4 – Les collègues, remède à l’anxiété professionnelle

Publié le 17 mai 2023

Par Violaine Carry, professeure de Lettres

Vous l’entendez, cette petite voix qui vous dit que vous n’avez pas fini de corriger les rédactions de 5e, que vous avez encore un contrôle de lecture à pondre ce week-end en sus des séances de la semaine à réajuster – ah et puis j’ai oublié d’envoyer un mail au Louvre pour les 6e et… Oui, cette petite voix qui ne s’arrête jamais, ni pendant les week-ends, ni pendant les vacances, et nous poursuit parfois jusque dans nos rêves, vous l’entendez, n’est-ce pas ?

La place de l’égo
Cette petite voix, que certains d’entre nous ne parviennent pas à mettre en veilleuse, est sans doute un des premiers facteurs de burn-out chez les enseignants, et ce pour deux raisons.
Tout d’abord, nous en avons déjà parlé dans le premier épisode de cette chronique, il n’est pas toujours facile de ne pas se laisser déborder par la multiplicité des tâches qui nous incombe, d’autant plus que nous nous occupons de jeunes et qu’ outre la pression des parents, nous subissons aussi celle de notre propre conscience professionnelle, sans compter celle de notre hiérarchie. Tout, dans la société, nous rappelle le rôle crucial et donc la responsabilité de l’École dans l’avenir de la nation. Il en découle que le droit à l’erreur est rarement évoqué par les enseignants, qu’on invite plutôt à battre leur coulpe au moindre « faux pas ». Il faut donc bien faire, mieux faire, encore mieux faire. Or, il est toujours possible de mieux faire et ainsi de laisser les temps de préparation de cours et de correction de copies grignoter de manière invasive le temps de déconnexion et de vie privée nécessaire à l’équilibre psychique. C’est que cette injonction touche moins notre besoin de contrôle que ce que Sonia Lupien, chercheuse au Centre d’Étude sur le Stress Humain (CESH), appellerait notre « Personnalité », notre Ego professionnel. Car nos compétences, notre capacité à gérer nos missions, à être à la hauteur des attentes – des élèves, des parents, de l’institution – sont en jeu. Et il s’agit d’un des facteurs de stress relatif les plus puissants, ce qui nous amènera à dépenser beaucoup d’énergie pour répondre à ce que nous percevons comme une menace dirigée contre ce qui fait notre personne. Plus ce sentiment est aigu, plus le taux de cortisol, l’hormone du stress, est élevé et tend, au lieu de nous booster, à nous épuiser.

Quand le stress s’immisce
Au-delà, notre « petite voix » professionnelle nous place en situation de double-tâche à notre insu. Par sa dimension créative, notre métier nous incite en effet à glaner en dehors de la classe tout ce qui pourrait enrichir notre pratique, de sorte que nous avons tendance à lire la plupart des situations que nous vivons avec nos lunettes de professeur, y compris dans notre vie privée. Cela n’a pas que des inconvénients : nous avons tous pris plaisir à saisir une idée surgie de notre quotidien, avec ce petit shoot de cortisol venu stimuler nos neurones pour résoudre une problématique didactique ou pédagogique. Seulement voilà, le cortisol a pour fonction première de mettre l’organisme en surrégime, le corps n’est pas fait pour supporter cet état sur le long terme. Par ailleurs, l’excès de cortisol provoque la diminution du taux de sérotonine, hormone dite du bonheur. Subir trop de stimulations finit par engendrer des troubles de l’humeur, un épuisement émotionnel qui inhibe joie et bien-être…

L’importance des collègues
Comment déconnecter vraiment et prendre de la distance avec cette injonction latente au perfectionnisme ? Notre meilleur allié, ce sont sans doute nos collègues. En effet, comme le rappelle Kelly McGonigal, psychologue clinicienne, solliciter de l’aide – de même qu’offrir son soutien , provoque la production d’ocytocine, l’hormone de l’attachement, qui permet de réguler la réponse au stress en diminuant le taux de cortisol : l’organisme cesse de s’emballer et s’apaise. Bien sûr, on peut aussi trouver du réconfort, source d’ocytocine, auprès de ses proches, mais avec une efficacité moindre, et surtout plus ponctuelle. Nos collègues ont un avantage majeur : ils partagent les mêmes contraintes et les mêmes préoccupations. Aussi, là où l’on est tenté d’opposer un « mais tu ne comprends pas », un « je dois absolument » à un celui ou celle qui nous enjoint de lâcher nos copies, nous serons plus sensible aux arguments d’un collègue nous conseillant de ralentir le rythme, de proposer aux élèves telle activité, nettement moins coûteuse en temps et en énergie et tout aussi payante. Cela suppose évidemment une atmosphère de confiance et de bienveillance en salle des professeurs, puisqu’il s’agit de se présenter sans masquer notre vulnérabilité, mais le simple fait de verbaliser avec un pair une difficulté permet de décharger une partie du stress négatif, en se libérant du sentiment d’impuissance. On n’est plus seul face au problème. Les neurones miroirs de notre collègue entrent en action d’autant plus efficacement que la situation lui est rarement étrangère. Aussi n’est-il pas étonnant de trouver, dans les établissements les plus difficiles, des équipes enseignantes particulièrement soudées. Plus il y a d’entraide, plus il y a d’ocytocine libérée, et meilleure est l’ambiance en salle des professeurs.

RESSOURCES
• Kelly McGonigal, Comment faire du stress votre ami, conférence TED
• Travaux de Sonia Lupien sur le site du CESH : https://www.stresshumain.ca/