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Enseigner sereinement, épisode 1 : l’art de ne pas se laisser déborder

Publié le 6 septembre 2022

Par Violaine Carry, professeure de Lettres

Chaque année scolaire est une course pour boucler le programme, concevoir ses cours, corriger les copies, rentrer les notes, recevoir les parents, assurer le suivi des élèves à besoins particuliers, organiser des sorties culturelles… Face à toutes ces sollicitations, comment rester serein ?

La mécanique du stress
Quand la pression du temps devient insupportable, c’est que le corps a été soumis à un stress qui a fini par épuiser toutes ses ressources. À l’origine, le stress est notre meilleur allié pour surmonter l’adversité. Notre cerveau sonne l’alarme pour mettre le corps en état d’alerte. L’hypothalamus, véritable gare de triage, détecte une menace potentielle et active immédiatement l’amygdale, cette machine à teinter les souvenirs d’une valence émotionnelle « agréable » ou « désagréable ». S’ensuit une réaction en chaîne dans diverses zones de l’organisme qui implique la libération d’hormones, dont l’adrénaline et surtout le cortisol, « l’hormone du stress ». La première nous envoie immédiatement un shoot d’énergie pour nous préparer à fuir ou à combattre. Le taux de glucose dans le sang augmente, car cet aliment préféré du cerveau optimisera notre mémoire et notre attention, la pression sanguine, donc l’oxygénation du cerveau, s’accroît, et nos muscles déjà tendus sont prêts à agir. L’adrénaline fait de nous une véritable machine de guerre.
Seulement voilà : elle ne dure que très peu de temps, quelques minutes généralement. Le cortisol entre en scène pour maintenir cet état. En parallèle, l’hypothalamus a envoyé ses informations à une autre zone de notre cerveau, dédiée au raisonnement et à l’analyse, le cortex préfrontal. Celui-ci passe au crible les informations, puis valide la réalité de la menace. Si l’adversité est confirmée, le cortisol poursuit son travail, et continue à augmenter. Et voilà comment les sportifs battent les records, comment un étudiant fait le meilleur oral de sa vie. Se dépasser, c’est être stressé. Toutefois, le cortisol n’a pas mauvaise presse pour rien : il fait baisser le taux de sérotonine, l’hormone dite « du bonheur » et le taux de dopamine, hormone « du plaisir ». Si cet état persiste, la santé mentale se détériore peu à peu, avec des troubles du sommeil, de l’attention et de la mémoire, et un risque réel de dépression. Le système immunitaire devient vulnérable, des troubles cardio-vasculaires et digestifs apparaissent, le manque de sommeil nous empêchant de restaurer nos forces.
Pour corser le tout, nous ne sommes pas égaux face au stress. Notre histoire personnelle et notre héritage génétique nous rendent enclins plutôt à l’optimisme ou au pessimisme. Ainsi, certains s’épanouissent à l’approche d’échéances, tandis que d’autres s’y noient d’anxiété.

Trier, hiérarchiser
Il s’agit d’abord de repérer si les symptômes de stress agissent comme des boosters, ou, au contraire, s’ils entravent nos actions et nos performances. Quand on ressent un écœurement face aux multiples obligations et sollicitations, il faut réagir. Une première stratégie consiste à lister les obligations non négociables, les tâches qui ne le sont pas réellement, et les loisirs. Il s’agira ensuite de faire des choix. Posez sur un planning mensuel tout ce qui figure dans votre colonne « obligations non-négociables », tant dans la vie professionnelle que la vie privée. Vient ensuite un travail de hiérarchisation et de négociation avec vous-même. Voyez dans quelle mesure vous pouvez soit déléguer, soit différer une tâche. La clé pour tout cela, c’est de ne pas se culpabiliser. Même quand on vous propose une opportunité qui vous tient à cœur, laissez le temps à votre cortex préfrontal d’anticiper la charge, d’évaluer l’intérêt de la proposition. Il a besoin de temps pour prendre de la distance par rapport à nos émotions immédiates, sans pour autant les négliger. Si l’offre le mérite, la règle tacite est d’abandonner une activité moins « rentable » en termes de bénéfices-plaisir. Cette règle de substitution, parfois douloureuse au premier abord, devient plus naturelle et plus facile au fil du temps. On respecte ainsi davantage notre corps et nos limites. Par extension, on gagne en fiabilité aux yeux des autres.

Ne pas tout contrôler
À mes débuts, il m’est arrivé de concevoir des séances à la minute près… C’était oublier que l’enseignement n’est pas une science exacte. La clé est d’accepter de se permettre quelques excursions « hors-piste », en accueillant, comme en improvisation théâtrale, les réactions de la classe, même quand l’échange dévie un peu de l’objectif initial. C’est aussi accepter que pour la même séance, on prenne une heure avec une classe, et deux avec une autre. Certes, le contrôle est important pour amener les élèves à un objectif défini, mais il faut parfois accepter de lâcher prise sur certaines choses, avec, en tête, que finalement, tous les chemins mènent à Rome.
Soyez indulgent envers vous-même ! On nous martèle que nous devons changer le statut de l’erreur, nous éloigner de la notion de sanction pour en faire un outil d’amélioration aux yeux de nos élèves ; commençons par nous l’appliquer à nous-mêmes.