Publié le 20 février 2023
Par Marie-Françoise Roger
Deux romans récents, à l’écriture alerte, abordent le thème du prénom ou des prénoms qu’on nous donne à la naissance. Pour les deux narratrices, leur(s) prénom(s) est un problème. Ce questionnement sur le nom qui nous est imposé sera l’occasion d’exercices d’écriture.
Questionnement identitaire
Pauline Delabroy-Allard se découvre, à l’occasion d’une démarche pour se faire faire une carte d’identité, quatre prénoms : Pauline, Jeanne, Jérôme, Ysé. Pourquoi un nom de garçon ? Pourquoi une héroïne de Claudel ? Qui était cette Jeanne dont on ne parlait pas ? Qui sait1, dit le titre sans point d’interrogation, comme convaincu que les réponses aux questions sont à trouver à l’intérieur de soi. Et le mystère s’éclaircit un peu au fil du récit. Des liens se font, des réminiscences, des échos, des abîmes se creusent…
Polina Panassenko se pose aussi des questions sur son identité. Pourquoi ne peut elle garder son nom d’origine, et pourquoi veut-on absolument franciser son prénom ? « Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. » écrit-elle dans Tenir sa langue2. Le prénom qu’on lui a imposé à son arrivée en France, Pauline, au lieu de Polina, dit la violence de l’exil et des institutions. Polina, c’était aussi le prénom attribué à sa grand-mère juive, Pessah, victime des pogroms et condamnée à cacher sa judéité sous un prénom russe. La narratrice, en revendiquant son prénom d’origine auprès d’un tribunal, comme dans ce premier roman, veut affirmer son passé, sa langue et son histoire.
On peut donner à lire le début de ces deux autofictions qui figurent sur les sites des éditeurs.
Variations sur un nom
On peut aussi évoquer les variations de Michel Leiris sur son prénom : M.I.C.H.E.L. dans un extrait de son texte Le Forçat vertigineux (1925).
« Il y avait un temps où je dormais à l’ombre de ces caractères. Le vent les faisait se balancer gravement et je les croyais très hauts :
M, comme la mer qui s’étend jusqu’aux montagnes marmoréennes de la mort, de minuit à midi ; I, comme les idées, itinéraire d’Icare, l’irréel qui s’imite ;
I, comme les Ides de Mars fatales à l’imperator ; I, I, I, I, I, comme un rire en forme de chiffre 1, figure primordiale tirée de l’abîme de M.
Quant à C, c’est le cadastre, le plan que fera respecter la douce hache qui précède l’aile, le CHEL qui sonne comme la période préhistorique chelléenne, le CHEL mou (contraction de cheptel), qui commence comme la chute – ou le chut qui impose silence – après la mie qui est le cœur du pain pour parachever le mot MICHEL.
Qui, si je lui tranche l’L, devient le nom maintenant trivial de ces petits pains en forme de sexe féminin, qui figuraient autrefois dans les cérémonies de certains cultes érotiques.
Et je trouve ce premier mot grotesque, MICHEL,
C’est un nom d’homme gras, aux joues lourdes. C’est le nom d’un buveur de bière qui tient sur ses genoux et tripote à pleines mains de grosses commères de kermesses flamandes.
C’est un nom de capon, un nom mou, sans consonne dure, sans rien qui roule ou qui se déclenche comme une volée de pierres. MICHEL »3
Littérature n°79, octobre 1990.
Proposition pour un atelier
Chacun partira du ou des prénoms qu’il ou elle porte. Qu’est-ce qu’ils me disent ? Comment ont-ils été choisis ? Qu’est-ce qu’on m’a dit de ce choix ? Est-ce que l’on aime ou pas ce ou ces prénom(s) ? Que dit-il ou que disent-ils de ce que l’on est ?
Autre proposition : vous pouvez jouer avec les sonorités de votre prénom à la manière de Michel Leiris. Ou évoquer les façons dont il a pu être déformé ou raccourci.
Notes
1 Pauline Delabroy-Allard, Qui sait, Gallimard 2022
2 Polina Panassenko, Tenir sa langue, L’Olivier 2022
3 On trouve ce texte en ligne ici