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Chronique littéraire : Georges Forestier, Molière

Publié le 19 janvier 2022

Par Edith Wolf

Molière, de la fin d’une légende à l’histoire d’une œuvre
George Forestier, Molière
La vie de Molière telle qu’on la raconte est, pour l’essentiel, une « vie imaginaire » à la Marcel Schwob. L’origine de cette légende est le récit publié en 1705 par Grimarest sous le titre Vie de M. de Molière, texte qui fit autorité d’autant plus facilement qu’il ne reste aucun document autographe du dramaturge. Or Grimarest fut critiqué dès la parution de son livre, et Boileau, par exemple, estime qu’il « se trompe sur tout ». La biographie de Georges Forestier se propose de mettre à mal cette tradition légendaire et de lui substituer, non un récit de la vie privée de l’homme Molière, mais une restitution de l’univers social, politique, philosophique et esthétique dans lequel il a produit son œuvre et incarné ses personnages.
On voit ainsi mis à mal des clichés comme l’hostilité du père à la vocation de son fils, les démêlés conjugaux qui expliqueraient l’omniprésence du thème du cocuage, les ennuis de santé où l’on verrait l’origine de la satire des médecins.
En rappelant que la source de sujets comme le cocuage ou la médecine est à chercher dans une tradition populaire héritée du Moyen Âge qui était revenue fort à la mode, en montrant le lien entre l’attitude du roi envers Tartuffe et l’histoire de ses relations avec les Jansénistes et les autorités ecclésiastiques, Georges Forestier permet au lecteur de comprendre les enjeux intellectuels et politiques du théâtre de Molière. Mais il montre surtout l’extraordinaire capacité du dramaturge à se nourrir de tout ce qu’il découvre aussi bien dans le répertoire des Italiens et dans les pièces espagnoles à la mode que dans les sources antiques ou le jeu des acteurs de farces. On voit ainsi surgir, à la place du malade persécuté et cocu, un homme solide, riche et aimé, célèbre dans toute l’Europe, au fait des codes galants et constamment soutenu par le roi malgré son adhésion probable à un scepticisme fondamental. L’univers ainsi restitué est passionnant et, si l’on peut s’interroger sur la certitude affirmée de Georges Forestier quant à la « normalité heureuse » de la vie privée de Molière, on trouve dans son ouvrage de précieux éclairages sur l’œuvre de l’auteur.
Georges Forestier, Molière, Gallimard, 544 pages, 24 €